mercredi 1 mai 2024

Guedj (mesure)

Guedj (Denis), Le Mètre du monde, coll. Points, chap. 19 "Deux visions du monde", p. 313 : 

"Les nouvelles mesures, que nous disent-elles du monde dans lequel elles ont – finalement – triomphé ?

Elles nous disent que la quantification prime. Au point qu'elle est devenue « la mesure de la mesure ». Elles nous disent que l'homme (son corps, son temps et son activité) est évincé. Doublement évincé, en tant que référence de la mesure, en tant qu'acteur du mesurage. Tout à la fois disqualifié comme référence et comme légitimation des mesures.

Il s'est passé en métrologie ce qui s'est passé en astronomie ; de la même façon que la Terre a été chassée du centre du monde physique au XVIè siècle, l'homme l'a été du centre du monde de la mesure au XXè. En ce sens, on peut parler de «révolution métro-logique» pour désigner ce passage d'un humano-centrisme à un géocentrisme qui signe le «retrait de l'homme de la réalité des choses ». Ce que d'aucuns appellent la déshumanisation du monde.

Plume ou plomb, or ou charbon, pesés avec le même kilo ; soie ou gros drap, brocart ou broderie, mesurés avec la même règle ; verger ou vignoble, route ou voie d'eau, corps de l'homme ou tronc de l'arbre, mesurés avec le même mètre ; eau bénite ou vin de messe, piquette ou vin de château, mesurés avec le même litre ; matières vives ou inertes, coûteuses ou modiques, luxueuses ou vitales, logées à la même enseigne.

Toutes les choses, partout, mesurées par tous, pour tous, de la même façon. Une mesure uniforme uniformise le monde. Les nouvelles ne prennent en compte que la «carcasse des choses»."