Blanchot, L'Amitié, § III "Le mal du musée" :
"Il n'est que d'entrer dans n'importe quel lieu où des chefs-d'œuvre sont mis ensemble en grand nombre pour éprouver cette sorte de mal du musée, analogue au mal de la montagne, fait de vertige et d'étouffement, auquel succombe rapidement tout bonheur de voir et tout désir de se laisser toucher. Bien entendu, au premier instant, quel ébranlement, quelle certitude physique d'une présence impérieuse, unique, quoique indéfiniment multipliée. La peinture est vraiment là, en personne. Mais c'est une personne si sûre d'elle-même, si contente de ses prestiges et s'imposant, s'exposant par une telle volonté de spectacle que, transformée en reine de théâtre, elle nous transforme à notre tour en spectateurs, très impressionnés, puis un peu gênés, puis un peu ennuyés. De toute évidence, il y a quelque chose d'insupportablement barbare dans l'habitude des musées. Comment a-t-on pu en venir là ? Comment l'affirmation solitaire, exclusive, farouchement tournée vers un point secret qu'elle nous désigne à peine, s'est-elle prêtée, en chaque tableau, à cette mise en commun spectaculaire, à cette rencontre bruyante et distinguée qu'on appelle justement salon ? Les bibliothèques ont aussi je ne sais quoi de surprenant, mais du moins on ne nous oblige pas à lire tous les livres à la fois (pas encore). Pourquoi les œuvres artistiques ont-elles cette ambition encyclopédique qui les conduit à se disposer ensemble, pour être vues en commun, par un regard si général, si confus et si lâche qu'il ne peut s'ensuivre apparemment que la destruction de tout rapport de communication véritable ?"