lundi 1 août 2022

Richter (Sviatoslav) (commencement)

Richter (Sviatoslav), Écrits et conversations [éd. Monsaingeon, Actes Sud] p. 59 :

"Ce qui est essentiel dans ce chef-d'œuvre [la Sonate en si mineur de Liszt], et qu'il [Neuhaus] m'enseigna, ce sont les silences, comment faire sonner les silences. Grâce à lui, je m'inventai un petit stratagème ; un petit stratagème dangereux, qui ne fonctionnerait sans doute pas pour d'autres, mais qui m'a rendu grand service. C'est au début de la sonate. Qu'y a-t-il en fait dans ce début ? Une note et rien d'autre : un sol. Que faire pour que ce malheureux sol sonne comme quelque chose de très particulier ? Voici : j'entre en scène. Je m'assieds et ne bouge plus d'un poil. Je fais le vide en moi, et compte intérieurement jusqu'à trente, très lentement. Dans le public, c'est la panique : « Que se passe-t-il ? Est-il malade » ? Alors, et seulement alors : sol. Ainsi, cette note sonne-t-elle de la façon voulue, totalement inattendue. Evidemment, il y a là une sorte de théâtre, mais l'élément théâtral me semble très important dans la musique. Il est essentiel de provoquer une sensation d'inattendu. Je connais beaucoup de pianistes qui jouent splendidement, mais chez lesquels tout est servi comme sur un plat : on sait d'avance ce qu'il y a au menu. C'est bien, c'est bon, mais c'est... connu."


Dans un entretien récemment rediffusé (France-Culture, 19 juillet 2022) B. Monsaingeon évoque magnifiquement SR disant cela, et on enchaîne sur la sonate. À écouter, à partir de  17'17"  :

https://www.ivoox.com/bruno-monsaingeon-ou-comment-filmer-musique-audios-mp3_rf_90070656_1.html