Diderot, Lettre à Sophie Volland du 30 octobre 1759, Correspondance t. II p. 307-308 ; OC CFL t. III p. 837 :
"Mme de Saint-Aubin était assise et accoudée sur une table. [L'abbé] alla se pencher et s'accouder sur la même table, vis-à-vis d'elle, car il est familier. Mme d'Aine, invitée par la commodité de sa posture et la largeur de sa croupe, prend un fauteuil, l'approche de lui, lui dit : "L'abbé, tiens-toi bien !", et d'un saut elle enfourche l'abbé, jambe de ça, jambe de là ; et de le piquer des talons, de l'exciter de la voix et des doigts ; et lui de hennir, de regimber, de ruer, et son habit de remonter vers ses épaules, et les cotillons de la dame de se relever devant et derrière, en sorte qu'elle était presque à poil sur sa monture, et sa monture à cru sous elle ; et nous de rire ; et la dame de rire, et de rire plus fort, et de rire plus fort encore, et de se tenir les côtes, et enfin de s'étendre en devant sur l'abbé et de s'écrier : "Miséricorde, miséricorde, je n'y tiens plus ; tout va partir, l'abbé, ne remue pas !" Et l'abbé, qui n'y entendait rien encore, de ne pas remuer et de se laisser inonder d'un déluge d'eau tiède qui entrait dans ses souliers par la ceinture de sa culotte, et de crier à son tour : "Au secours, au secours ; je me noie !" Et chacun de nous de tomber sur les canapés et d'étouffer. Cependant Mme d'Aine, toujours en selle, d'appeler sa femme de chambre : "Anselme. Anselme, tirez-moi de dessus ce prêtre. L'abbé, mon petit abbé, console-toi. tu n'en as pas perdu une goutte." L'abbé ne se fâcha point, et fit bien. C'était encore une figure à voir que Mlle Anselme. C'est l'innocence, la pudeur et la timidité même. Elle ouvrait ses grands yeux, elle regardait à terre ; une mare énorme, et elle disait d'un ton de surprise : "Eh ! mais. Madame..." "Eh ! mais oui... C'est moi, c'est l'abbé, c'est tous les deux... Cela m'a bien soulagée... Des souliers, des bas, des cotillons, du linge..."