Amiel, Journal, 11 Juin 1869 :
"Lu La Mort de Pompée. Corneille déclare que ce sont les vers les plus pompeux qu'il ait jamais faits. Je suis toujours étonné, quand je reviens, après quelque intervalle, à notre tragédie classique, de l'énormité des préjugés qui régnent à son endroit. Elle est à cent lieues de l'art grec. C'est tendu, enflé, strapassé, déclamatoire ; on sent l'échasse et le porte-voix ; il y a du capitaine Fracasse, du Matador et du Rodomont dans ce style, qui est théâtral plutôt que dramatique, pompeux plutôt que noble. Dans cet art conventionnel, tout sonne creux et faux, on a la boursouflure de l'héroïsme plutôt que l'héroïsme, l'ostentation du grandiose plutôt que la vraie grandeur, la prestigieuse et aride lumière de la rampe plutôt que la belle lumière du jour. Tout est affectation et vise à l'effet.
Non, ce n'est point ainsi que parle la nature.
Et comment en pouvait-il être autrement, même avec l'âme fière de Corneille ? Trois mauvaises écoles devaient la faire aboutir à cet art frelaté. L'école de Lucain, c'est-à-dire de la décadence romaine ; l'école de l'Espagne, c'est-à-dire de l'exagération emphatique ; l'école de la monarchie absolue, c'est-à-dire de l'apparat et du décorum confondu avec la majesté ; (ajoutez-y le goût de la rhétorique et de la phrase, qui est inhérent à la race latine et qui broche sur le tout), n'en devait-il pas résulter inévitablement quelque chose de malsain, une manière sans naturel, un art qui blesse le vrai goût ?"