Gracq, Carnets du grand chemin :
“Quand on passe de l’Allemagne à la France, ce n’est pas seulement la mauvaise tenue, le négligé de l’aspect de nos villages qui frappe, le peu de souci qu’ils ont de l’apparence, c’est l’aspect chétif de la maisonnette rurale française à côté de la forte maison allemande, qui fait penser, avec les pans coupés de son toit au-dessus des pignons, à la massive maison jurassienne, maison toute gonflée de l’importance de son for intérieur, bastille familiale de conte de Noël que l’on devine disposée tout entière autour de son meuble central : le poêle de céramique volumineux des longs hivers. L’œil qui, dans un paysage français s’englue surtout à la forte unité organique du village, lequel présente presque toujours un visage réellement distinct, s’arrête plutôt ici à ses composantes plus compactes, plus séparées, individualisées par leur isolement plus grand comme par leur couleur : maisons juxtaposées d’un jeu de construction plutôt que grupetto indissoluble des notes d’une phrase musicale. C’est plus particulièrement marqué quand on vient du pays de Bade aux maisons largement égrenées à la suisse, et qu’on retrouve le village lorrain tout entier terré sous son unique carapace d’écailles comme une cohorte romaine montant à la brèche sous ses boucliers.”