mardi 15 mars 2022

Sève (sensibilité musicale)

Sève B., L'altération musicale, II, 1 : 

"La sensibilité animale à la musique suggère une sourde complicité du corps humain, dans ses couches les plus rebelles à l’ordre de la culture, avec la musique. Il y a un enracinement organique obscur et profond des effets de la musique, il existe une zone primitive ou primordiale, non angélique et préculturelle, où la musique vit en nous d’une vie qui n’est pas vraiment nôtre, que nous ne connaissons pas et avons du mal à admettre ; mais parfois nous devinons comme dans un éclair que la musique nous touche autrement et ailleurs que nous n’aurions voulu. Les ennemis de la musique n’ont pas toujours tort, et les artistes du Moyen Âge roman n’ont pas fait que s’abandonner à leur fantaisie débridée en développant si abondamment le motif des animaux musiciens.

[...] La musique la plus « savante » n’est si forte que parce qu’elle s’est détachée de ses racines sauvages, et qu’en s’en détachant elle ne les a pas reniées. Les forces « savantes » domestiquent les forces « sauvages », mais en les domestiquant il n’est pas sûr qu’elles les affaiblissent. La force vient souvent de la source vive dont on s’est éloigné sans s’en être séparé. Domestiquer, ce peut être affaiblir, déformer, châtrer et avilir, mais ce peut être aussi intérioriser, spiritualiser, déplacer, concentrer et anoblir. Il y a une emprise sauvage et une emprise savante de la musique, et nulle séparation claire et définitive entre les deux."