mercredi 22 décembre 2021

Sainte-Beuve (corps de l'écrivain)

   Sainte-Beuve, Lundis, 2 septembre 1850 : Balzac [mort en août] :
   "M. de Balzac avait le corps d’un athlète et le feu d’un artiste épris de la gloire ; il ne lui fallut pas moins pour suffire à sa tâche immense. Ce n’est que de nos jours qu’on a vu de ces organisations énergiques et herculéennes se mettre, en quelque sorte, en demeure de tirer d’elles-mêmes tout ce qu’elles pourraient produire, et tenir durant vingt ans la rude gageure. Quand on lit Racine, Voltaire, Montesquieu, on n’a pas trop l’idée de se demander s’ils étaient ou non robustes de corps et puissants d’organisation physique. Buffon était un athlète, mais son style ne le dit pas. Les écrivains de ces âges plus ou moins classiques n’écrivaient qu’avec leur pensée, avec la partie supérieure et tout intellectuelle, avec l’essence de leur être. Aujourd’hui, par suite de l’immense travail que l’écrivain s’impose et que la société lui impose à courte échéance, par suite de la nécessité où il est de frapper vite et fort, il n’a pas le temps d’être si platonique ni si délicat. La personne de l’écrivain, son organisation tout entière s’engage et s’accuse elle-même jusque dans ses œuvres ; il ne les écrit pas seulement avec sa pure pensée, mais avec son sang et ses muscles. La physiologie et l’hygiène d’un écrivain sont devenues un des chapitres indispensables dans l’analyse qu’on fait de son talent."