Huxley, Contrepoint, traduction Castier, Livre de Poche p. 396-397 :
"La parade, tout d'abord, fut superbe. Je la regardais, enchanté. Comme toujours. Comment explique-t-on l'attrait qu'exerce le spectacle militaire ? On le nie, plutôt qu'on ne l'explique... Je me le suis demandé tout le temps que je le regardais.
Une escouade ne se compose que de dix hommes et est neutre, au point de vue émotif. Le cœur ne commence à battre qu'à la vue d'une compagnie. Les évolutions d'un bataillon sont enivrantes. Et une brigade, c'est déjà une armée avec des bannières, ce qui équivaut, - comme nous le savons par le Cantique des Cantiques, à se sentir amoureux. L'émotion est proportionnelle au nombre. Étant admis le fait que nous n'avons qu'un mètre soixante-quinze de haut, deux pieds de large, et que nous sommes solitaires, une cathédrale est nécessairement plus impressionnante qu'une chaumière, et un kilomètre d'hommes en marche est plus imposant qu'une douzaine de flâneurs au coin d'une rue. Mais ce n'est pas tout. Un régiment est plus impressionnant qu'une foule. L'armée avec ses bannières n'équivaut à l'amour qu'autant qu'elle manœuvre impeccablement. Des pierres constituant un édifice sont plus belles que des pierres en tas. L'exercice et l'uniforme imposent une architecture à la foule. Une armée, c'est beau. Mais ce n'est pas encore tout : elle satisfait des instincts plus bas que l'instinct esthétique. Le spectacle d'êtres humains réduits à l'automatisme satisfait le désir de puissance. En regardant des esclaves mécanisés, on s'imagine être un maître. C'est ce que j'ai éprouvé, tandis que j'admirais les évolutions des Anglais Libres d'Everard. Et, en démontant ainsi mon admiration, morceau par morceau, je me suis gardé d'en être submergé. Diviser pour régner."
rappel :
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The drill, to begin with, was superb. I watched, enchanted. As usual. How does one explain the fascination of the military spectacle? Explain it away, by preference. I wondered all the time I was watching. A squad is merely ten men and emotionally neutral. The heart only begins to beat at the sight of a company. The evolutions of a battalion are intoxicating. And a brigade is already an army with banners--which is the equivalent, as we know from the Song of Songs, of being in love. The thrill is proportional to the numbers. Given the fact that one is only two yards high, two feet wide and solitary, a cathedral is necessarily more impressive than a cottage and a mile of marching men is grander than a dozen loafers at a street corner. But that's not all. A regiment's more impressive than a crowd. The army with banners is equivalent to love only when it's perfectly drilled. Stones in the form of a building are finer than stones in a heap. Drill and uniforms impose an architecture on the crowd. An army's beautiful. But that's not all; it panders to lower instincts than the aesthetic. The spectacle of human beings reduced to automatism satisfies the lust for power. Looking at mechanized slaves, one fancies oneself a master. So I thought, as I admired the evolutions of Everard's Freemen. And by taking the admiration to bits, I preserved myself from being overwhelmed by it. Divide and rule.