Hegel, Phénoménologie de l'Esprit trad. J. Hyppolite, éd. Aubier tome 1 pp. 66-67 :
« Si la crainte de tomber dans l'erreur introduit une méfiance dans la science, (science qui sans ces scrupules se met d'elle-même à l'œuvre et connaît effectivement), on ne voit pas pourquoi, inversement, on ne doit pas introduire une méfiance à l'égard de cette méfiance et pourquoi on ne doit pas craindre que cette crainte de se tromper ne soit déjà l'erreur même. En fait, cette crainte présuppose quelque chose, elle présuppose même beaucoup comme vérité, et elle fait reposer ses scrupules et ses déductions sur cette base qu'il faudrait d'abord elle-même examiner pour savoir si elle est la vérité. Elle présuppose précisément des représentations de la connaissance comme d'un instrument et d'un milieu, elle présuppose aussi une différence entre nous-mêmes et cette connaissance ; surtout, elle présuppose que l'absolu se trouve d'un côté, et elle présuppose que la connaissance se trouvant d'un autre côté, pour soi et séparée de l'absolu, est pourtant quelque chose de réel. En d'autres termes, elle présuppose que la connaissance, laquelle étant en-dehors de l'absolu, est certainement aussi en-dehors de la vérité, est pourtant encore véridique, admission par laquelle ce qui se nomme crainte de l'erreur se fait plutôt soi-même connaître comme crainte de la vérité. »
traduction B. Bourgeois, Vrin 2006 p. 119 :
« Si la préoccupation liée à la crainte de tomber dans l'erreur fait se méfier de la science, qui se met à l'ouvrage même et connaît effectivement en l'absence de scrupules de ce genre, on ne voit pas pourquoi il ne faudrait pas, à l'inverse, se méfier d'une telle méfiance et être préoccupé par l'idée que cette crainte d'errer est déjà l'erreur même. En réalité, la préoccupation en question présuppose quelque chose et, sans aucun doute, beaucoup de choses comme étant la vérité, et c'est ce sur quoi elle appuie ses scrupules et les conséquences qu'elle en tire, ce qui est soi-même à soumettre à un examen préalable pour voir si c'est la vérité. Elle présuppose, en effet, des représentations de la connaissance comme d'un instrument et d'un milieu, également une différence de nous-mêmes d'avec cette connaissance, - mais surtout cette idée que l'absolu se tiendrait d'un côté et que, de l'autre côté, la connaissance, prise pour elle-même et en étant séparée de l'absolu, serait pounant quelque chose de réel, ou, du même coup, que la connaissance qui, en tant qu'elle est en dehors de l'absolu, est bien aussi en dehors de la vérité, serait pourtant vraie, supposition par laquelle ce qui s'appelle crainte de l'erreur se fait connaître plutôt comme crainte de la vérité »
Inzwischen wenn die Besorgnis, in Irrtum zu geraten, ein Misstrauen in die Wissenschaft setzt, welche ohne dergleichen Bedenklichkeiten ans Werk selbst geht und wirklich erkennt, so ist nicht abzusehen, warum nicht umgekehrt ein Misstrauen in dies Misstrauen gesetzt und besorgt werden soll, dass diese Furcht zu irren schon der Irrtum selbst ist. In der Tat setzt sie etwas, und zwar manches, als Wahrheit voraus, und stuetzt darauf ihre Bedenklichkeiten und Konsequenzen, was selbst vorher zu pruefen ist, ob es Wahrheit sei. Sie setzt naemlich Vorstellungen von dem Erkennen als einem Werkzeuge und Medium, auch einen Unterschied unserer selbst von diesem Erkennen voraus; vorzueglich aber dies, dass das Absolute auf einer Seite stehe, und das Erkennen auf der andern Seite fuer sich und getrennt von dem Absoluten doch etwas Reelles, oder hiemit, dass das Erkennen, welches, indem es ausser dem Absoluten, wohl auch ausser der Wahrheit ist, doch wahrhaft sei; eine Annahme, wodurch das, was sich Furcht vor dem Irrtume nennt, sich eher als Furcht vor der Wahrheit zu erkennen gibt.