Caillois, Rencontres § Corneille p. 11-12 :
"Les héros de Corneille ne connaissent qu'une passion : la gloire. Elle les conduit suivant les circonstances au sacrifice ou au crime, au parricide ou au martyre. Médée égorgeant ses enfants est hissée au même empyrée que Polyeucte décourageant avec insolence ceux qui s'attachent à le sauver. L'un et l'autre sont pris du même vertige. Il ne s'agit pas de devoir, mais de fascination. Tous et toutes entrent dans un jeu de surenchères où ils courent à leur perte avec volupté, pourvu qu'ils étonnent l'antagoniste et le contraignent à l'admiration.
Le cas échéant, les plus monstrueuses solutions sont consenties, recherchées même, par choix délibéré, le seul qui compte pour faire la preuve qu'une âme généreuse peut aller plus loin qu'un cœur pusillanime n'ose imaginer.
Je suis maître de moi comme de l'univers […]
Je le ferais encor si j'avais à le faire.
Ces maximes justifient l'excès ; elles annoncent, confirment, trahissent comme une ébriété intime. Le héros connaît et fait connaître qu'il vient d'atteindre un état second, où il resplendit et où il est assuré que plus rien ne saurait le menacer. La volonté devient grâce et incandescence. Tout est alors effacé : amour et devoir, vertus privées et intérêt public, Rome et Pauline.
Telle est la gloire, cime redoutable et abrupte où précipite la générosité : une chute vers le haut. J'écris «chute» à dessein, pour souligner l'irrésistible de l'aimantation."