Montaigne, Essais II, XVIII :
"Le premier trait de la corruption des mœurs, c'est le bannissement de la vérité [...] car l'être véritable [= la sincérité] est le commencement d'une grande vertu. Notre vérité de maintenant, ce n'est pas ce qui est, mais ce qui se persuade à autrui, comme nous appelons monnaie non celle qui est loyale seulement, mais la fausse aussi qui a mise [cours]. [...] Aux Français le mentir et se parjurer n'est pas vice, mais une façon de parler. Qui voudrait enchérir sur ce témoignage, il pourrait dire que ce leur est à présent vertu. On s'y forme, on s'y façonne, comme à un exercice d'honneur ; car la dissimulation est des plus notables qualités de ce siècle. [...] Que peut-on imaginer de plus vilain que d'être couard à l'endroit des hommes et brave à l'endroit de Dieu ? Notre intelligence se conduisant par la seule voie de la parole, celui qui la fausse, trahit la société publique. c'est le seul outil par le moyen duquel se communiquent nos volontés et nos pensées, c'est le truchement de notre âme : s'il nous faut, nous ne tenons plus, nous ne nous entreconnaissons plus. S'il nous trompe, il rompt tout notre commerce et dissout toutes les liaisons de notre police. [...] Ce bon compagnon de Grec disait que les enfants s'amusent par les osselets, les hommes par les paroles."