Goncourt, Journal 19 mars 1857 :
"Les civilisations ne sont pas seulement une transformation des pensées, des croyances, des habitudes d’esprit des peuples, elles sont aussi une transformation des habitudes du corps.
Vous ne trouverez plus sur les corps modernes les attitudes grandies et raidies à Rome par la vie à la dure, en beaux gestes longs et tranquilles, en poses héroïques à larges tombées de plis. Comparez en une sculpture antique, cet éphèbe, assis d’une manière théâtrale sur un siège de fer, à ce jeune seigneur crayonné sur une chaise aux pieds tors par Cochin. Voyez-le ce dernier : il est assis de face, les jambes écartées, la tête de profil rejetée un peu en arrière et regardant de côté, le coude gauche appuyé sur un genou, et la main montant en l’air, où elle joue inoccupée. C’est d’un charmant, d’un coquet, ce seigneur : on dirait un homme rocaille, mais ce n’est pas vraiment le même homme que l’éphèbe romain.
Eh bien, nos corps à nous, nos corps d’anémiés, avec leur échine voûtée, le dandinement des bras, la mollesse ataxique des jambes, n’ont ni la grande ligne de l’antique, ni le caprice du XVIIIè siècle, et se développent d’une manière assez mélancolique sous le drap noir étriqué."