dimanche 15 août 2021

Franzen (visages)

Franzen (Jonathan), La Zone d’inconfort, traduction Kerline, éditions L'Olivier p. 57 : 

"Nos cortex visuels sont programmés pour reconnaître rapidement les visages et en soustraire instantanément une foule de détails, les réduire à leur image essentielle : telle personne est-elle heureuse ? fâchée ? craintive ? Les individus ont des visages très variés, mais un sourire moqueur chez l'un est très semblable à un sourire moqueur chez l'autre. Les sourires sont conceptuels, non picturaux. Nos cerveaux sont comme des caricaturistes - et les caricaturistes sont comme nos cerveaux, ils simplifient, ils exagèrent, ils subordonnent les détails faciaux aux concepts comiques abstraits.

Scott McCloud, dans L'Art invisible, son traité sur la bande dessinée, soutient que l'image que vous avez de vous-même quand vous conversez est différente de celle de la personne avec qui vous conversez. Votre interlocuteur peut afficher des sourires universels, des froncements de sourcils universels qui vous permettront d'identifier ses émotions, mais il a aussi un nez particulier, une peau particulière, des cheveux particuliers qui vous rappellent continuellement qu'il est un Autre. L'image que vous avez de votre propre visage, en revanche, est extrêmement stylisée. Quand vous souriez, vous imaginez un dessin de sourire, non l'ensemble composite peau-nez-cheveux. C'est précisément la simplicité et l'universalité des visages dessinés, l'absence des particularismes constitutifs de l'Autre, qui nous invitent à les aimer comme nous-même. Les visages les plus communément aimés (et rentables) du monde moderne sont des dessins exceptionnellement basiques et abstraits : Mickey Mouse, les Simpson, Tintin et - le plus simple de tous, juste un cercle, deux points et une ligne horizontale - Charlie Brown."


Our visual cortexes are wired to quickly recognize faces and then quickly subtract massive amounts of detail from them, zeroing in on their essential message: Is this person happy? Angry? Fearful? Individual faces may vary greatly, but a smirk on one is a lot like a smirk on another. Smirks are conceptual, not pictorial. Our brains are like cartoonists—and cartoonists are like our brains, simplifying and exaggerating, subordinating facial detail to abstract comic concepts.

Scott McCloud, in his cartoon treatise Understanding Comics, argues that the image you have of yourself when you’re conversing is very different from your image of the person you’re conversing with. Your interlocutor may produce universal smiles and universal frowns, and they may help you to identify with him emotionally, but he also has a particular nose and particular skin and particular hair that continually remind you that he’s an Other. The image you have of your own face, by contrast, is highly cartoonish. When you feel yourself smile, you imagine a cartoon of smiling, not the complete skin-and-nose-and-hair package. It’s precisely the simplicity and universality of cartoon faces, the absence of Otherly particulars, that invite us to love them as we love ourselves. The most widely loved (and profitable) faces in the modern world tend to be exceptionally basic and abstract cartoons: Mickey Mouse, the Simpsons, Tintin, and—simplest of all, barely more than a circle, two dots, and a horizontal line — Charlie Brown.