mercredi 19 mars 2025

Perec (fin)

Perec, La Disparition éd. L'imaginaire p. 304-305 :

"Nous avancions pourtant, nous nous rapprochions à tout instant du point final, car il fallait qu’il y ait un point final. Parfois, nous avons cru savoir : il y avait toujours un « ça » pour garantir un « Quoi ? », un « jadis », un « aujourd’hui », un « toujours », justifiant un « Quand ? », un « car » donnant la raison d’un « Pourquoi ? ».

Mais sous nos solutions transparaissait toujours l’illusion d’un savoir total qui n’appartint jamais à aucun parmi nous, ni aux protagons, ni au scrivain, ni à moi qui fus son loyal proconsul, nous condamnant ainsi à discourir sans fin, nourrissant la narration, ourdissant son fil idiot, grossissant son vain charabia, sans jamais aboutir à l’insultant point cardinal, l’horizon, l’infini où tout paraissait s’unir, où paraissait s’offrir la solution,

mais nous approchant, d’un pas, d’un micron, d’un angström, du fatal instant, où,

n’ayant plus pour nous l’ambigu concours d’un discours qui, tout à la fois, nous unissait, nous constituait, nous trahissait, 

la mort,

la mort aux doigts d’airain, 

la mort aux doigts gourds, 

la mort où va s’abîmant l’inscription,

la mort qui, à jamais, garantit l’immaculation d’un Album qu’un histrion un jour a cru pouvoir noircir, 

la mort nous a dit la fin du roman."